Chronique d'un théâtre déconfiné #1

Laisser les dires, regarder les faires

C’est quoi un théâtre dans la cité quand il est vide ?
Vide ?
Non certainement pas, il fourmille, il bouillonne, il bouge…

• Avec TOUS : les habitants du quartier, les associations, les enseignants sans distances, ceux qui bougent, qui donnent à manger aux affamés, aident les enfermés, les vieux, les jeunes, les faibles, avec ou sans masque qu’on fabrique, qu’on bidouille, qu’on apporte au personnel de l’Hôpital Nord accompagnés de repas mitonnés pour eux…

• Avec NOUS, les fantômes du théâtre : vous avez dit chômage ? Pas le temps, trop de travail, trop de terrains à parcourir, et de longues réunions pour tout coordonner (en réel, en virtuel, au téléphone) :

Reporter des spectacles annulés et maintenir les engagements auprès des artistes (sans toucher à la saison prochaine qui sera dense !)...
… et en caler les puzzles technique et d’accueil…
… maintenir tous les salaires, techniciens intermittents compris…
… concevoir la communication, inventer la plaquette trimestrielle…
… en attendant, sur le site, tenir en haleine avec des chroniques participatives…
… assister Ilaria Turba, qui depuis l’Italie mène un atelier de création de pain, chacun chez soi entre four et écran…
… prendre des nouvelles, discuter avec les artistes de la Bande et de la Ruche, comment créer, gérer leur calendrier bousculé…
… décaler, aménager les résidences…
… informer, s’informer, partager avec la DRAC et les collectivités territoriales…
… s’entraider, s’épauler, inventer, se réunir entre Scènes nationales par écrans multiples…
… préparer, avec le Réseau Traverse, un temps fort en décembre pour les compagnies régionales…
… réfléchir avec Marseille Provence Culture, à l’économie de la culture ébranlée par la crise…
… garder les liens avec les partenaires, les relais des secteurs social et éducatif…
… transformer la billetterie en canal de discussion avec les spectateurs par téléphone et courriel…
… maintenir et animer toutes les réunions en visio-conférence…
… mission pour chaque chef de service de maintenir un lien permanent avec les membres de son équipe…
… fabriquer 200 masques pour l’équipe et des habitants…
… participer au Groupe veille d’entraide sociale de la Busserine…
… créer des kits pédagogiques pour le soutien scolaire…
… créer des affiches d’informations à diffuser pour les centres sociaux…
… photocopier des formulaires d’autorisations de sortie, en français, en arabe et en pictogrammes pour les personnes qui ne savent pas lire…
… peindre et réparer avec le personnel d’entretien…
… entretenir les jardins et le poulailler du ZEF…
… rédiger, avec les délégués du personnel, les protocoles de reprise du travail, d’accueil des artistes et du public…
… mettre en place une formation sur le logiciel Régie-spectacles…
… et vivre ensemble même de loin…

• Ohé DRAC, Ohé Marseille, Ohé Sud, Ohé Bouches-du-Rhône, vous êtes là ? Ils ont dit Oui… alors on y va… Où ? On verra quand on y sera, là il y a urgence ! « Les missions d’une Scène nationale, l’exigence artistique ? » Qui pose cette question ? Regarde, viens nous aider, t’occupe !

• Avec EUX, les artistes, présents avec NOUS, avec TOUS, à deux mètres, à deux spectateurs, à deux participants, deux doigts du bonheur d’un moment magique, bientôt à dix, à vingt, on verra, en juillet et en août :

- les présentations de saison aux partenaires se font en petits comités ;

- le projet d’Ilaria Turba Le désir de regarder loin, continue son chemin vers la fabrication d’objets porte-bonheurs, avec tous les habitants et partenaires du territoire ;

- Carole Costantini et Alexis Moati demandent à des volontaires, professionnels ou amateurs, de transmettre à un spectateur un texte littéraire qui leur est essentiel, le seul à sauver s’il le fallait, pour leur projet Je porte un ange en filigrane ;

- Romain Bertet, en résidence au ZEF - Gare Franche, invite des spectateurs à sa recherche pour son prochain solo, Underground ;

- Edith Amsellem propose Lorsque la salle est de la chair vivante, atelier d’écriture, captation vidéo et installation pour salle de spectacles désertée ;

- Sébastien Ly dialogue avec un spectateur, entre texte et danse pour De l’un à l’autre ;

- Yohanne Lamoulère imagine une île à photographier, avec les enfants ;

- le Cinéma du ZEF, se transforme en cinéma de quartier pour les vacances d’été, avec un programme spécial enfance et jeunesse ;

- et d’autres aventures artistiques joyeuses et estivales, s’inventeront avec des artistes complices.

C’est quoi un théâtre dans la cité ?

Aujourd’hui la même chose qu’hier et que demain, inscrit dans la vie, mon théâtre, ton théâtre, notre évidence, notre besoin : au même titre que l’eau et l’électricité disait Jean Vilar. Trop jeune ou pas assez vieille pour l’avoir connu. Dommage, on se serait bien entendu !