Le mardi 03 novembre 2020 à 19h
Présentation
Mahmoud et Virginie sont sur scène et ils dialoguent. Plutôt, ils essayent de dialoguer. Il faut bien puisqu’on les a mis là. Lui est un jeune Égyptien qui ne parle qu’arabe, tandis qu’elle, la cinquantaine, ne parle que le français. Mais ni leur logiciel de traduction simultanée, ni leur bonne volonté ne suffisent à percer l’épaisse couche de stéréotypes qui empêche leur rencontre. Ce n’est même pas un malentendu, c’est qu’ils ne se voient pas, c’est qu’ils ne sont, l’un pour l’autre, que des masques, des clichés, peut-être un fantasme exotique. Ils sont pourtant des gens bien, tolérants, ouverts d’esprit. Ça devrait suffire mais ça coince. De crise de nerfs en crise de rires, leur tentative de communication se heurte à leurs idées bien plus arrêtées qu’ils ne le croient. Pas si facile de s’émanciper de la masse des jugements sédimentés et des certitudes stratifiées. Sauf, peut-être, à regarder carrément en face ces visions déformées que chacun porte sur l’autre. Une comédie de mœurs, d’une intelligence rare, qui se joue avec insolence des lieux communs de la rencontre interculturelle et rappelle qu’il ne suffit pas de se prétendre affranchi des idées reçues pour cesser de blesser l’autre.
Note d'intention
« On sait ce qu'est « l'orientalisme » théorisé par Edward Saïd : la vision occidentale du Moyen- Orient et les implications de cette vision en termes de colonisation et d'impérialisme culturel. Mais il est aussi un orientalisme ordinaire, à hauteur de femme et d'homme, qui nourrit le regard porté sur « l'oriental » jusque dans les situations de rencontre banale. Il s'exerce notamment a travers la curiosité souvent la mieux intentionnée qui peut mener à de véritables interrogatoires saturés d’à-priori. Le spectacle aborde concrètement, frontalement, la question.
Nini pose beaucoup de questions à Mahmoud, pour tenter d'approcher cet homme arabe au teint cuivré qui ne parle pas français. Pleine d'empathie, de volonté de comprendre, d'aimer, voire d'aider, elle recycle la chape d'idées reçues et d'idéologies que tout européen supporte sur le monde arabo-islamique.
Mais Mahmoud, au début très coopératif et poli, se rebiffe. Qui est-elle pour poser de telles questions ? Et tout simplement : qui est-elle ? Ironiquement et symétriquement, Mahmoud pose alors sur Nini un regard tout autant nourri d'idées reçues, d'idéologies, etc. qu'un homme arabe peut porter sur une femme française – un occidentalisme si l'on veut.
Sortiront-ils de cette impasse ? Qu'adviendra-t-il de cette rencontre ? Dépasseront-ils les clichés ou seront-ils condamnés par eux ? Trouveront-ils une voie pour quitter les sentiers rabâchés de la rencontre interculturelle, cette idéologie devenue molle, et s'aventurer dans le « mystère d'une rencontre ordinaire » (Éric Chauvier) ?
Ce qu'on peut en tout cas affirmer, c'est qu'ils traverseront quelques crises (de rires, de nerfs, identitaires), et quelques danses – du ventre, cela va de soi, ou égyptienne, donc de profil...
Si les deux acteurs jouent des rôles (Mahmoud et Nini), les deux figures scéniques sont fortement chargées de l'autobiographie des comédiens : le texte a en effet été élaboré à partir d'improvisations sur eux-mêmes, leur propre rencontre (ils ne se connaissaient pas au début de ce travail) et d'autres expériences relatives à ladite rencontre interculturelle, ainsi qu'à partir d'une liste de lieux communs du regard des un.es sur les autres que nous avons dressée. Le texte navigue donc entre l'archétype et l'intime, lui-même soumis aux archétypes...
On aura compris qu'il ne s'agit pas de réifier des positions figées, « l'occidentale », « l'oriental », ni bien sûr d'apporter une réponse - une recette - à la question : comment rencontrer notre "autre", oriental ou occidental ? Cet exercice est une pratique de la différence sous la coupe d'à-priori. C'est le spectacle de la recherche d'une entente sur une façon adéquate de se décrire et de se comprendre. Une recherche et pas une solution : s'il est hors de propos d'affirmer que la rencontre est impossible, il n'est pour autant peut-être pas inutile d'exposer que la seule (bonne) volonté ne suffit pas...
La mise en scène est minimale : chacun.e est assis.e sur une chaise face public, séparé.e de et réuni.e à l'autre par un écran étroit sur lequel sont projetées les traductions française et arabe de ce que chacun dit dans sa propre langue : il ne se comprennent que par l'entremise d'une fausse traduction simultanée. Cette adresse directe permet un jeu dramatique d'une grande simplicité et, nous l'espérons, des processus d'identification à la fois "naturels" et sans cesse contrariés par le changement d'interlocuteur. »
Henri Jules Julien
Henri jules Julien fait du théâtre, de la radio, des livres, de la traduction, de la production – selon les nécessités.
Virginie Gabriel est performeuse et comédienne française issue de la scène cyber-punk des arts de la rue - elle a fait partie de _Materia Prima Art Factory depuis sa fondation jusqu'en 2014.
Mahmoud El Haddad est danseur, comédien, metteur en scène égyptien de la scène underground cairote où il participe depuis quelques années à une bonne quinzaine de projets par an. Comédien au burlesque naturel, il est le fascinant serviteur muet qui dispose des volailles mortes sur la table de The Last Supper le spectacle de Ahmed El Attar (Festival d'Avignon 2015). Danseur, il collabore au long cours avec la chorégraphe cairotte Mirette Mikhaïl et fut nominé au ‘Total Theatre Award/ The Place’ au Edinburgh Fringe Festival 2017 pour sa performance solo dans The resilience of the body, chorégraphie de Shaymaa Shoukry.
Voir, écouter et lire
15 juillet 2019
Vaucluse Matin
Cette pièce tous publics, d’une construction et d’un langage très simples, incite à l’observation, à la réflexion et pose la question essentielle : comment, en bougeant nos regards, rencontrer vraiment l’autre ? Le constat est implacable : il est aussi difficile de bouger que de rester à sa place. L’envie que cela dure plus longtemps, car c’est indéniablement trop court. »
Séances et tarifs
Autour du spectacle
Mardi 3 novembre
Rencontre à l’issue de la représentation > annulée
Générique
Texte : Henri jules Julien à partir d'improvisations de Virginie Gabriel et Mahmoud El Haddad • Mise sur scène : Henri jules Julien • Avec : Virginie Gabriel et Mahmoud El Haddad • Dramaturgie : Youness Anzane, Sophie Bessis • Remise en jeu : Nathalie Pivain
Production : Haraka Baraka • Coproduction : Centre de culture ABC La Chaux-de-Fonds, Le Tarmac – Paris, CCAM scène nationale Vandoeuvre-les-Nancy • Aide à la création : DRAC Île de France, ARCADI, Ville de La Chaux-de-Fonds avec l’aide de Théâtre Athénor - Saint-Nazaire • LE ZEF reçoit le soutien de l’Onda – Office national de diffusion artistique pour l’accueil de ce spectacle