TOUT-MOUN

Note d’intention
« Avec TOUT-MOUN, nous poursuivons notre quête, sans cesse relancée, de mise en relation des imaginaires. Nous avons choisi ce titre qui signifie « tout un chacun, toute personne, tout le monde » en créole, clin d’œil à l’ouvrage Tout-Monde d’Édouard Glissant, considéré comme le point convergent de toute l’œuvre du poète-romancier.
Nous avons découvert Édouard Glissant en 2007 à travers l’appel qu’il a lancé avec Patrick Chamoiseau, en réaction à la mise en place du ministère de l’identité nationale : « Quand les murs tombent, l’identité nationale hors la loi ».
Depuis lors, nous nous sommes plongés dans sa pensée à travers ses romans, essais ou poésies... Fréquentées d’œuvre en œuvre, les notions-clefs de cette pensée nous accompagnent comme autant de balises dans notre parcours. Elles sont, à nos yeux, des incontournables pour accueillir le monde tel qu’il va aujourd’hui. Qu’ils s’agissent de « la pensée archipélique », du « Chaos-monde », de « l’identité-relation », de « la créolisation »... Cette pensée nous éclaire pour appréhender le monde dans sa complexité. Cela nous aide à saisir les réalités qui nous emportent dans ce destin commun des humanités, au moment où les murs s’érigent et les imaginaires tendent à se clôturer. Elle met en valeur la dynamique de brassage des imaginaires en prise avec « les cultures de métissage » et cette dimension est essentielle dans notre travail.
Nous sommes entrés en contact avec Sylvie Glissant pour lui parler de notre désir de faire entendre la voix d’Édouard Glissant dans le spectacle. Elle nous a très vite donné son accord. Poursuivant la conversation, en évoquant le festival Le Temps d’Aimer la danse où nous jouons la première, elle nous a révélé combien Édouard aimait cette ville, celle de Bayonne. Ils se rendaient régulièrement tous deux dans cette région. Nous nous sommes réjouis de découvrir ce lien insoupçonné, qui est de fait un lien symbolique de plus...
Le monde selon Édouard Glissant est vu comme « une entité de flux relationnels inarrêtables où mélanges, entremêlements, ruptures, synthèses, hybridations ou mosaïques, instaurent un chaos relationnel auquel personne ne saurait échapper »... C’est puissant et il nomme cela « la Relation », qui est le principe actif de la notion de Tout-monde. « Quand, aujourd’hui, le multiculturalisme juxtapose des absolus, la créolisation emporte tous les absolus dans un précipité imprévisible ». Cette vision utopique nous apparaît comme un rempart aux intolérances rampantes. Il y a donc une nécessité à la faire découvrir ou re-découvrir. Nous projetons donc cette nouvelle création TOUT-MOUN dans la poétique de cette esthétique striée de fulgurances où les identités et les imaginaires se créolisent. »
Héla Fattoumi & Éric Lamoureux

Biographie
En trente-cinq ans de carrière, le duo Fattoumi-Lamoureux s’est singularisé dans le paysage chorégraphique national et international par une danse engagée, jouant sur des dynamiques contrastées, exacerbant les potentialités expressives de la présence physique, touchant aussi bien les néophytes que les connaisseurs. Privilégier ce qui relie, mettre en exergue l’altérité, rendre tangible la notion d’identité-relation sont autant de moteurs d’une démarche artistique teintée d’humanisme que vient renforcer la constance d’une cosignature. Il s’agit de bâtir une identité artistique sur le socle d’une relation en perpétuel mouvement, d’un incessant relais des imaginaires, quasi-utopiste, qui lui-même en appelle à des autrices et auteurs véhiculant des valeurs de métissage, de puissance de la dissemblance, notamment avec leurs dernières créations, AKZAK L’impatience d’une jeunesse reliée (2021) et TOUT-MOUN (2023), montrées au ZEF à Marseille. Ce sont naturellement des idéaux et des intentions du même registre qui imprègnent la direction que le binôme a donnée au Centre chorégraphique national de Bourgogne Franche-Comté à Belfort, revendiquant la capacité du public à se forger un regard critique par la mise en perspective d’approches esthétiques diverses. Un CCN dont ils ont résolument ancré la dimension transfrontalière, le rebaptisant VIADANSE en référence à l’idée d’une danse qui fait lien.